Parmi les hommes célèbres d’Algérie, Gaston , Maurice JULIA sera l’un des plus grands mathématiciens français. Issu d’un milieu modeste, il réussit, par son intelligence et un courage hors du commun à franchir les étapes les plus difficiles pour devenir le plus jeune des académiciens français .
Il a appliqué à la lettre l’une de ses citations favorites venant de Kipling : « Tant qu’un homme n’est pas mort, on peut toujours en faire quelque chose » .
La famille JULIA d’origine Pyrénéenne arrive en Algérie vers 1850. Le père Joseph JULIA né vers 1860 , mécanicien de machines agricoles travaille à Sidi-Bel-Abbès . la mère Dolores BENAVENT née vers 1871 , est d’origine espagnole. Ils auront 4 enfants : 2 filles et deux garçons Gaston et Roger .
C’est dans cette ville de Sidi-Bel-Abbès que Gaston va naître le 3 février 1893 .
Dès l’âge de 5 ans, il commence à être premier dans sa classe enfantine de sœur Théoduline (Sœurs Trinitaires), suivant la devise que sa mère lui avait inculquée « toujours premier ». Cette devise fut observée tout au long de ses études.
La famille JULIA s’étant installée à Oran en 1901, le jeune garçon entre d’abord chez les Frères des Ecoles chrétiennes puis au lycée (celui qui deviendra le lycée Lamoricière) où il obtient une demi-bourse.
On souhaite pour lui faire gagner du temps et parce son niveau le permet le faire démarrer directement en classe de 5ème . Ce qui pose problème est la langue étudiée, l’allemand, que ses condisciples étudient depuis un an déjà.
« Tu ne peux entrer en cinquième, les camarades ont un an d’allemand et tu ne sais même pas le lire ! » .A quoi supplie le gosse : « Gardez-moi un seul mois et je rattraperai mon retard ! »
Dans l’espace d’un mois, Gaston rattrape ses camarades et les dépasse, obtient la première place dans toutes les matières y compris en gymnastique ! Il fabrique lui-même ses toupies et ses cerfs-volants que tout enfant pauvre doit faire de ses mains.
Il est reçu au baccalauréat à 16 ans donc avec la mention très bien .
Anecdote racontée par Marcel MASSON
Dans les années 1950-1959, un oncle, Marcel MASSON, mon correspondant lorsque j’étais moi-même élève interne au lycée Lamoricière me raconta un jour une anecdote sur Gaston JULIA ancien élève du lycée pour qui il avait une grande admiration :« Julia , était un excellent élève à tel point que lorsqu’il se présente à l’écrit du baccalauréat, il obtient la plus forte note et le correcteur qui est un professeur du lycée Bugeaud d’Alger - car à cette époque les professeurs du lycée Bugeaud d’Alger permutaient avec leurs collègues du lycée Lamoricière d’Oran pour corriger les épreuves du baccalauréat - très surpris souhaite l’interroger personnellement à l’oral car il veut voir à quoi ressemble le « phénomène ». Lorsque le jeune Gaston entre dans la salle , il tire le papier que lui tend le l’examinateur et va se recueillir un moment pour préparer sa réponse.
Un peu plus tard le professeur le rappelle :
« Et alors ? » interroge le professeur qui pense lui avoir donné une question particulièrement difficile . Le jeune candidat répond alors au professeur que ce problème peut être résolu de 10 façons différentes au moins. Et aussitôt , devant le professeur médusé , il va écrire au tableau les unes après les autres les dix démonstrations ! »Inutile de dire que notre candidat fut reçu brillamment au baccalauréat.
Cette réussite le conduit à Paris en 1910 (17 ans) où il est admis au lycée Janson de Sailly en Mathématiques Spéciales et où il bénéficie d’une bourse, cette fois entière .
Atteint d’une fièvre typhoïde en début d’année scolaire, il entre avec deux mois de retard ! Les 8 mois restants lui suffiront pour être reçu Premier au concours de Polytechnique et de Normale Supérieure (cacique) . Il choisit d’entrer à Normale Sup.
L’esprit du jeune normalien n’a jamais encore connu de détente. Son seul souvenir de luxe est cette boîte de compas que le proviseur de Janson de Sailly lui permit d’acheter sur les 200 F d’argent de poche que versaient pour lui les Anciens du lycée.
Ce compas …et un violon d’enfant, cadeau de sa mère , sur lequel un officier de la Légion, lui avait appris les rudiments de la musique.
A Normale, la musique hante les « turnes » et les couloirs. Le mathématicien prodige découvre Bach, Schubert, Schumann, tout en préparant l’agrégation de mathématique à laquelle il est reçu. Il sera plus tard un excellent violoniste .
Mais la guerre éclate. Mobilisé dès le début, Gaston est affecté au 57ème régiment de ligne de Libourne.
Pour lui les hostilités ont été courtes et atroces ! Le 25 juillet 1915, au Chemin des Dames, le jeune sous-lieutenant, à 22 ans, est grièvement blessé en répondant, avec le plus grand mépris du danger, à une attaque ennemie . Atteint d’une balle dans la tête , il perd un œil, son nez est fracassé ce qui l’obligera à porter un masque de cuir .
Citation : JULIA Gaston , sous-lieutenant au 34 ème régiment d’infanterie. Cité : « Le 25 janvier 1915 a montré le plus profond mépris du danger sous un bombardement d’une extrême violence. A su, malgré sa jeunesse, prendre sur ses hommes un réel ascendant. A repoussé une attaque menée contre les tranchées et a été atteint d’une balle en pleine figure lui occasionnant une blessure affreuse. Quoique ne pouvant plus parler, a écrit sur un billet qu’il ne voulait pas être évacué, ne s’est rendu à l’ambulance, que quand l’attaque ennemie a été refoulée. Cet officier, reçu le premier à l’Ecole polytechnique et premier à l’Ecole normale (Sciences), venait de rejoindre le front et voyait le feu pour la première fois. Fait chevalier de la Légion d’honneur.
Pendant 2 ans il devra subir 27 opérations. Il souffrira toute sa vie de douleurs faciales et de fortes migraines. Cette situation dramatique ne va pas l’empêcher de travailler ni d’avoir une vie normale .
En 1918, à 25 ans donc, il épouse une infirmière, celle-là même qui va le soigner à son retour du front, au Val de Grâce, Marianne CHAUSSON, la fille d’un compositeur romantique connu, Ernest CHAUSSON .
Ils auront 6 enfants, tous des garçons : Jérôme, Christophe, Jean-Baptiste, Marc , Daniel et Sylvestre, dont deux - Marc et Sylvestre - deviendront célèbres à leur tour :
Marc (né le 23.10.1922 Paris- décédé le 26.06.2010 Paris ?) , Directeur du Département de Chimie à l’Ecole Normale Supérieure , membre de l’académie des Sciences.
Sylvestre (né le 11.03.1926 Paris – décédé le 20.05.2003 Paris), Directeur de recherche au CNRS .
La famille vit dans la région parisienne à Versailles .
L’œuvre originale de ce savant est difficile à analyser pour un profane. Elle est en effet d’une abstraction qui défie le commun des mortels. Malgré ses blessures qui ne le quitteront jamais, Gaston JULIA commence dès 1916 une brillante carrière . En novembre 1917, il soutient sa thèse doctorat en sciences mathématiques : « Etude sur les formes binaires non quadratiques à indéterminées réelles ou complexes ou à indéterminées conjuguées ».
En 1918, le Grand Prix de Mathématiques lui est décerné par l’Institut pour son travail sur l’Itération des fractions rationnelles.
A 26 ans, il est chargé de cours au Collège de France , maître de conférences à Normale Supérieure. Il est également répétiteur d’analyse à Polytechnique, examinateur à Navale .
L’année 1925 le voit titulaire à la chaire d’Analyse appliquée à la Géométrie à la Sorbonne, professeur de calcul différentiel et intégral.
En 1937, il est nommé Professeur de Géométrie et d’Algèbre à Polytechnique à la place de Maurice d’OCAGNE (1)
Dans ce poste qu’avait occupé MONGE(2).
A l’âge de 41 ans, il est membre de l’Académie des Sciences en remplacement du mathématicien Paul PAINLEVE (3).
Il présidera cette assemblée en 1950, tout comme la Société Mathématique de France.
Le 28 octobre 1954 , le président des Anciens Elèves du Lycée Lamoricière , M.Eugène CRUCK adresse une lettre à M.Gaston JULIA, président de l’Académie des Sciences pour lui demander d’accepter d’être président d’honneur de l’Association
Oran le 28 octobre 1954
à Monsieur Gaston JULIA , Membre de l’Académie des Sciences,
4 bis , rue Traversières , VERSAILLESMonsieur Le Président,
Nous savons quel attachement vous avez conservé au grand établissement secondaire où vous avez fait vos premières études ; et nous n’ignorons pas le vif souvenir qui reste en votre mémoire de tous ceux qui furent vos professeurs et vos camarades de classes.
Pour concrétiser les mêmes sentiments pour votre personne, qui n’ont cessé d’animer ceux qui ont eu la joie d’être à vos côtés en cette époque déjà lointaine, et ceux qui nous succèdent et à qui nous transmettons avec fierté votre exemple si haut de droiture intellectuelle et morale – les membres du Conseil d’Administration à l’unanimité, dans leur réunion du 20 octobre, ont décidé de vous demander de bien vouloir accepter d’être Président d’honneur de notre Association.
Permettez-moi d’espérer que vous voudrez bien accorder cet insigne témoignage de fidèle reconnaissance et de sympathie au groupement d’« anciens » qui ont reçu mission de maintenir le flambeau de leurs aînés et de vous assurer de nos sentiments respectueux en même temps que de camaraderie très dévouée.Le Président signé : Eugène CRUCK.
Quelques jours plus tard, la réponse suivante parvenait au lycée :
Versailles , le 5 novembre 1954
Cher Monsieur ,
Veuillez excuser le retard de ma réponse, provoqué par un mauvais état de santé.
J’accepte bien volontiers d’être le Président d’honneur de l’Association des anciens élèves du Lycée d’Oran et je vous prie de bien vouloir transmettre au Conseil d’Administration mes remerciements pour cette aimable désignation.
Veuillez croire , cher Monsieur , à mes meilleurs sentiments .
Signé : Gaston JULIA
Son fils Marc :
« Mon père avait gardé un grand attachement à sa terre natale. Il y est retourné de nombreuses fois entre les deux guerres pour rendre visite aux siens, ou présider la distribution des prix au lycée d’Oran. Il y était attaché comme tous les êtres humains pour les endroits où ils ont « traîné leurs guêtres » étant enfants ; qu’ils aient joué aux billes sur le trottoir des villes ou fait voler des cerfs-volants dans la campagne. Ses parents et ses deux sœurs avec leurs familles avaient continué à vivre dans l’Oranais alors les deux garçons, Gaston et Roger, avaient fait leurs carrières en métropole. La partie « algérienne » de la famille est rentrée en métropole en 1962 »
C’est au lycée Janson de Sailly qu’il est élevé à la dignité de Grand Officier de la Légion d’Honneur par Jules MOCH , ministre de la défense nationale.
Travailleur acharné, Gaston JULIA publiera plus de 200 articles ou mémoires. Il écrit plusieurs ouvrages dont certains deviendront des classiques.
Elu à l’Académie d’UPPSALA (Suède) et à l’Académie pontificale de Rome, sa réputation avait largement dépassé les frontières .
Au fil des ans, les conséquences de ses blessures s’aggravent. Ses souffrances sont de plus en plus fortes au point de devenir un calvaire. Cela ne l’empêche pas de travailler.
Il aimait ses élèves, les suivait avec passion. Très exigeant, il essayait de les façonner avec tout l’amour d’un professeur. Il disait d’eux parfois : « Je ne peux pas les lâcher dans la circulation tant qu’ils ne sont pas au point ».
D’autres opérations douloureuses, en particulier celle de le hanche, vont l’obliger à se déplacer avec des béquilles.
En 1971, (à 78 ans) , la disparition de son épouse fut un coup fatal. Il n’eut plus qu’une joie, celle de l’entrée de son fils Marc à l’Académie des Sciences.
Ensuite ce sera la fin du vieux lutteur, du brillant mathématicien .
Il meurt le 19 mars 1978 aux Invalides où il passa la fin de sa vie comme pensionnaire
(1). Maurice d’OCAGNE , mathématicien (1862-1938)
(2) Gaspard MONGE , mathématicien (1746-1768)
(3) Paul PAINLEVE , mathématicien (1863-1933)
Cette compilation de textes a été réalisée par Jean-Paul VICTORY
d’après de nombreuses sources dont :
1. O.G. d’après Bernard GIRAUDET selon une documentation communiquée par l’Académie des Sciences
2. Christian MIRA(Bulletin du Cercle Algérianiste N° 104 de décembre 2003)
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