Anthologie

samedi 4 janvier 2020

A mes amis "Apollons" et Alysgotes : ELEVES DE CHEZ NOUS (Renée IVANES - CHALANCON )

Sur le chemin jadis qui menait à l’école
Certains partaient bavards ; dans un flot de paroles
Ils descendaient joyeux, direction « Front de Mer »
Potaches du bon vieux Lycée Lamoricière.
Les jeunes filles plus sages s’en allaient Lycée Gsell.
Et moi je trottinais craignant d’être en retard
Vers ma si douce École : celle de Jules Renard.

Les années ont passé et les fronts ont blanchi
Potaches et jeunes filles ensemble réunis
Tissent l’union sacrée témoins de notre Histoire
Quand le savoir était pour chacun un Devoir,
Tout comme la Patrie, le Drapeau, la Nation,
Le respect de nos Maîtres, dans cette communion

Où chacun se devait d’être la Pierre d’Angle,

Bâtisseur d’avenir jusque dans sa maison !!
Mais la rime est brisée direz-vous : sans raison
Il nous fallu quitter notre Terre natale
Bâtir un autre ailleurs était chose fatale

Éparpillant nos vies et ne plus être ensemble

Tel l’oiseau renaissant du Feu qui le transforme
Alchimie des pouvoirs que le cœur met en forme
Autour de la raison quand l’Amitié fait Loi :
Vous avez dans l’Union rebâti tout cela !

Renée Ivanès-Chalancon

NOTRE DRAPEAU (Renée IVANES-CHALANCON)

Tu les connais les trois couleurs,
Les trois couleurs de Notre France
Qui ont tant fait battre les cœurs,
De Gloire et d’Espérance ;
Bleu céleste couleur du jour,
Rouge du sang de nos Amours,
Blanc Franchise et Vaillance !
Flottant sur nos écoles, nos lycées, nos mairies
Fanal tricolore de notre appartenance.
Marseillaise en tissu aux couleurs de la France,
Nous étions ses Enfants, Enfants de l’Algérie !!
Le Drapeau sur les barricades
Tressaillait comme un guerrier franc,
Et du bled jusqu’à la bourgade,
Des plus jeunes à la vieille garde,
Comme aux jours du Débarquement :
Toujours premier ! Toujours devant !
Dans la mêlée qu’il était beau,
Même en lambeaux,
Tout étoilé de votre sang !!
Ils sont morts en le défendant
Ô sublime folie !
Un jour, ils seront triomphants
Nos Morts que la France a trahis !!
L’Histoire revient toujours dicter SA VERITÉ !!
Et nos enfants sauront : des labours à la guerre,
Alsaciens, Espagnols, Catalans ou Maltais :
Le prix du sang versé, des harkis, de nos pères !
Car le Drapeau garde en ses plis
L’Âme Vraie de Notre Patrie !!

René Ivanès-Chalancon

AUX ARMES D’ORAN (Mme A. MARAVAL-BERTHOIN)


Avec leurs rayons d’or sur fond d’azur, nos armes
semblent symboliser ce qui fait la beauté
de l’antique et farouche et brûlante cité
dont le soleil est le sultan buveur de larmes.

Avec les deux lions, debout pour terrasser
l’ennemi qui voudrait qu’on plie ou qu’on abdique,
gardiens des tours d’argent d’un domaine héraldique,
Nous savons demeurer debout, le cœur blessé.

Avec le fier croissant, choisi par le Prophète
pour célébrer Allah en pays musulman,
Nous voyons s’éveiller, à la voix de l’Iman,
des guerriers dont la poudre est la chanson de fête.

Avec le clair vaisseau qui brave les antans,
au-dessus des blasons d’Islam et de Castille,
Se dresse dans la nef, à la blanche écoutille,
le progrès qui rayonne et domine le temps…

Et je pense soudain à ce qu’il tient de choses
dans ce blason d’Oran où l’azur et le sang
font un ciel de lumière ou de soir frémissant
au passé qui s’endort dans des apothéoses…

Ah ! tel le coq gaulois qui claironne sa joie,
Campé sur ses ergots pour saluer le jour,
Nous voulons, nous aussi, saluer tour à tour
Chaque aurore brodée et d’épis et de soie.

A. Maraval-Berthoin

ORAN S’ENDORT (Jean-Marie TINTHOIN)

ORAN s’endort…
aux sons nasillards et aigus des raïtas arabes,
au rythme très lent des tobeuls…
Dans la blanche clarté du soir qui l’enveloppe,
on distingue mal les flèches des clochers de nos églises
de la silhouette des minarets…
Communion étroite et muette de deux peuples
qui se confondent dans un calice d’air pur
et de moites senteurs de la nuit…

Oran s’endort…
comme lentement bercé par la mélopée,
si douce de al brise de mer…
de la brise de mer si âpre au goût,
mais si parfumée du baume des pins,
des pins… noire coulée d’ombre
qui descend le long de la colline...
Au loin, l’indigo de la mer,
argentée par endroits des reflets de lune,
apporte un souffle de nostalgie.

ORAN s’endort…
comme son peuple, insouciant de ce que sera Demain…
insouciant et fataliste…
L’immense ruche, trépidante
de vie brillante et insatiable, pendant tout un jour,
s’est immolée au silence de la nuit…
Lentement, les derniers feux de la ville arabe,
les plus longs à mourir,
s’éteignent dans le soir…

ORAN s’endort…
La fumée des foyers de bois vert
a emporté, avec elle, le dernier souffle de vie…
C’est l’heure où, grisé par le vent de mer,
le grand silence apporte un poème d’éternité,
avec l’apparition subite des « djinns ».
C’est l’heure où l’âme s’envole,
pour se confondre avec la brume du soir…
la brume légère du soir qui enveloppe, légère,
la coupole immense des milliers de terrasses blanches..

ORAN s’endort…
Et oui… il faut le reconnaître,
il y a du charme, dans ce pays « chaud »,
aux teintes « chaudes », aux langages gutturaux,
nuancés comme les appels des raïtas et des tobeuls…

ORAN s’endort…
mais l’homme, cet éternel mécontent
se lasse vite de tout… et je connais tellement tout cela !...
Depuis ma « tendre » enfance,
j’ai été bercé par les sons lointains
de cette musique nostalgique, aux accents plaintifs,
j’ai été enivré par le parfum du « cahoua »,
du thé, du bois vert, mêlé à celui,
plus âpre et plus prenant qui s’exhale du Vent de la mer…

Tout cela, ça fait trop oublier la réalité, la triste réalité…
Il faut avoir été l’enfant de cette terre,
pour pouvoir comprendre
tout ce qu’il y a de décevant, de cruel en elle
... et pourtant, on ne peut pas l’oublier,
on ne peut pas s’en détacher,
sans avoir l’impression de la trahir…
… Et pourtant…..

EXOTISME (Jean-Marie TINTHOIN)

Terre imprégnée de mélancolie, où l’on respire le pin,
Le pin qui se joue d’une brise capricieuse,
Le pin vert sombre et la mer bleu d’étain,
La mer bercée de ses vagues paresseuses…

Terre où les rêves ressemblent à l’azur,
L’azur de tes cieux de douces chaleurs,
Eclatant de lumières et d’un bleu trop pur,
Où tes yeux se ferment sous un rythme enchanteur…

Terre de couleurs chaudes, injectée de sang,
Où vient mourir ton regard de profane…
Terre qui s’embrase au soleil couchant,
Comme le feu dont s’allume ton ciel de gitane..

Terre aux regards terriblement mystiques,
Aux regards qui fascinent et qui tuent
Le poète, trop confiant, que tu piques,
Impitoyable et cruelle, pour le vaincre.

Terre nuancée, comme les appels d’une lyre,
Sous l’aspect dévasté de tes ruines antiques,
Où la broussaille cache un sourire,
Le sourire étrange d’un mausolée aristocratique..

Terre d’ombres éclatantes et de clartés éteintes,
Palette de contrastes et d’énigmes,
Qu’un pinceau ivre a barbouillée de teintes,
Des teintes qu’aucun artiste n’exprime

ADIEU ORAN (Jean-Marie TINTHOIN)

Dans le port d’Oran
les cheminées des steamers
du dernier voyage
rejettent leur fumée blanche,
comme un foulard
qu’une main agite,
du bout des doigts,
et la houle qui les balance
ressemble à un sanglot.

Adieu Soleil
Adieu terre brûlée
ma terre
Adieu marabout blanc
sur la colline
et toi, Vierge de ce peuple
de ce peuple sacrifié, exilé,
et qui part, brisant ses attaches et sa vie
vers l’exil.

Adieu Vierge de ce peuple,
Adieu Santa Cruz,
Vierge de la peste,
de la peste, de la prière,
des ex-voto par milliers,
témoins fragiles,
de la pitié des petits peuples,
de ceux de labeurs quotidiens
et qui ont uni leurs mains
vers toi qu’ils ont vénérée
tant d’années
en processions et pèlerinages.

Adieu ma terre
ma terre des oliviers…
toujours des oliviers
à l’heure du sacrifice.
Adieu les sentiers de rocaille
qui cheminent
à travers les oliviers
avec les petits ânes gris.

Adieu, Oran, ma belle,
tes accents d’Andalouse,
tes chants de l’Orient,
tes marchands de bonheur,
tes maisons blanches,
tes rues chaudes.

Adieu Oran, ma belle,
tes églises,
tes synagogues,
tes mosquées,
ta foi naïve et sincère,
tes contrastes,
tes enthousiasmes,
tes contradictions…

Les steamers de l‘Adieu
ont franchi la passe
et leur fumée blanche
s’est perdue à l’horizon…..

ORAN ! (Carlos GALIANA RAMOS (*) )

« Oran !… » Fut le cri
Du Marquis de Santa Cruz A la vue de ton abrupte baie.
Et ce fut une prière : Celle de ta Vierge dressée
Par une guirlande fidèle, Dévote, rassemblant
Les flancs de ta montagne.
Face au vent du Nord, Qui détrempe la Sainte
De nuages de larmes Que ramène la nuit,
Tu mêles la mémoire et les songes.
Tu crois en une France, grande, Qui ne sut te rêver,
Ni te dire, enfin, Si ton père fut ce Maure,
Cet inquiet Levantin, ou ce héros d´Alsace.
Tant d´hommes sont venus
Sur le flux de l´Histoire, Portés sur tes rivages,
Libres de leur misère Et fuyant le passé.
Leurs familles ont semé Pour tisser leurs coutumes
Une langue nouvelle.
Que de croix ont plantés Les journaliers rompus
De soleil, Pour qu’enfin le désert
Pût se faire verger ! Et que d´enfants perdus,
Drapés dans la Bannière, Plutôt que regretter
Leurs espoirs entêtés !

Tu connais ce tonnerre
Que gardent tes entrailles, Et qui sut mettre en fuite
Jusqu’aux plus valeureux. Tu ne crains la mer brave,
Ni les soleils brûlants Que tu offres assagis
Aux enfants des rivages, Qui dressent sur tes plages
Mille châteaux d´espoirs fous.
Mais un Homme est venu, Aux desseins malhonnêtes,
Ajoutant à la Guerre une haine de plus, Et, à la Vierge, là-haut, encore plus de blessures.
Alors, les patios se sont tus
Où bruissait la guitare. Tes places se sont fanées
Où pleuraient les fontaines Des rendez-vous manqués.
Puis ton Histoire niée D´amours et de labeurs.
Sur les quais de douleurs, Sonnent alors déchirantes
Les sirènes du départ : Les vivants, vers leur sort incertain,
Les morts, vers le sûr infini.
Tu es ce que nous fûmes, Et ton cœur bat en nous
Malgré l´oubli de tous. Prie toujours pour les tiens,
Oran, Oran, ma ville sacrée.

(*) Traduit de l´original en espagnol « ¡Orán ! » , inclus dans le livre « Españoles en Argelia – Memoria de una Emigración » de Juan Ramón Roca, par Marie-Hélène Carbonel

ORAN (Alfred CAZES) - (Le Niger sentimental, 1927)

La ville du désir enfin réalisé,
Pourquoi, Si la mer proche à Naples l’apparente,
Et la falaise rouge aux émaux de Sorrente,
Le goût des mercantis a tout banalisé.

Boulevards, omnibus, tant de maisons quelconques !
La poussière du moins, tamise le soleil,
Et sa gloire dispose un éventail vermeil
Au seuil des carrefours creusés comme des conques.

Puis, des gens affairés errent sous les ficus :
Alfa, coton, café, vins, moutons, céréales,
Commerce : assassinat dans les formes légales,
Vainqueurs rares, parmi la foule des vaincus.

Mais quelles manolas peuplent cette Ibérie !
Embrasement d’yeux noirs aux trottoirs vespéraux,
Et les épaules d’or, et les bras sculpturaux,
Avec le meneo qui nous met en furie.

La mandoline vibre un Orient trompeur,
Or, pour tel qui requiert l’ambiance anormale,
Burnous rares. Assez pour la nuit fantômale
Et le frisson cherché d’exotisme et de peur.

ORAN (Paul BELLAT)

Oui, je la chanterai, la ville méprisée,
Si noble en son jupon troué de gitane
Avec ses yeux meurtris, avec sa peau bronzée
Et ce pic où jadis l’Espagne culmina.

Je dirai les reflets changeants de sa falaise
Les aurores de nacre et les midis dorés
Et les couchants qui la couvrent de rouge braîse
Et l’encens qu’à ses pieds versent les flots moirés.

Je dirai la Calère et le coin d’Italie
Où l’on entend le soir des airs napolitains,
Où les couples unis sous la lune pâlie
Mêlent à leurs baisers des rires argentins.

Je dirai la splendeur du beau golfe où se mirent
Les sévères donjons du vieux Rosalcasar
Les jardins de Létang où la brise soupire
Etalés au soleil comme un frileux lézard.

Et tous ces murs puissants dont te dota l’Espagne
Blasonnés de gueules au lion passant d’or
Et les noirs souterrains rampant sous la campagne
Et le haut Murdjadjo, sublime mirador.

Et tes grands boulevards déferlant vers la plaine
En cercles élargis, submergeant les faubourgs,
Tes casernes qui sont de héros toujours pleines
Où des échos lointains répondent aux tambours

Que d’autres fassent fi de ton Hôtel de Ville !
Il atteste la France avec sa sérénité,
Deux lions orgueilleux de sa gloire civile
Proclament sa présence et sa pérennité.

Et les lions de bronze et les blondes Victoires
D’un obélisque fait du granit le plus pur,
Célèbrent à jamais, France, ta double victoire :
Guerrière du passé, prêtresse de l’azur.

Et partout, même au pied de tes sombres bastilles
Dans tes jardins, à l’heure où finit le travail,
Qui donc n’a remarqué la beauté de tes filles
Leurs yeux de flamme et leurs lèvres de corail ?

Qui n’admire sur tes grands stades et tes pistes
La force de tes fils et leur ardeur au jeu ?
Hélas ! et qui n’a lu dans le marbre les listes
Tragiques de tous ceux qui sont tombés au feu

Des noirs combats, durant les affreuses années ?
Oui, combien sont tombés ! combien tombent encor
Sur tous les points du globe où l’alerte est donnée !
Chaque fois qu’on entend Roland sonner du cor…

ORAN, que l’Aïdour coiffe d’un diadème !
ORAN, reine des cœurs humbles et dévoués !
Ta beauté, ta bonté, ta douceur, je les aime
Et ton accueil et tes beaux rires enjoués !

J’aime tes habitants, tes fécondes familles,
Cet accent spécial que l’on raille en Alger,
Tant d’amour frémissant sous tes brunes charmilles !
Tant de poètes nés parmi tes orangers !

Et les essaims d’enfants joyeux que tes écoles
Lâchent deux fois par jour sur les trottoirs étroits,
Classes où l’on attend que les heures s’envolent,
Gais retours au bercail quand le soleil décroît.

Grandis pour accomplir ta haute destinée,
Rivale de Marseille et de Naples, grandis !
Ta gloire éblouira la Méditerranée.
Elle a déjà franchi les déserts interdits

ORAN (Yves MATHIAS)

Oran qui m’a vu naître
Adolescent,
Oran qui m’a fait maître
Convalescent,
Que d’amour je te dois !
Reconnaissant
Que de larmes je bois !
En te laissant

Ô mont du Murdjadjo ! J’aime ta forteresse,
Tes pentes adoucies dans leur fière rudesse
Par l’étole moirée des grands pins parasols
Sur ta puissante épaule offerte en cache-cols

Ô sublime hauteur ! Que noble est ta couronne,
Citadelle vaillante dont la pierre résonne
Des combats espagnols livrés sous les hauts murs,
Sur tes flancs verdoyants, dans tes ravins obscurs !

Une vapeur d’azur au parfum de verveine
Voile ton front serein, gaze qu’hier la Reine
Isabelle nouait au bras des chevaliers
Qui s’en allaient bouter les arabes guerriers.

A l’ombre du vieux fort, la chapelle modeste
Erigée à Marie qui mit fin à la peste
Découpe sur la baie son dôme protecteur,
D’un peuple généreux révélant la ferveur.

Quand l’air s’est adouci, que le jardin bourgeonne,
Quand butine l’abeille et Pâques carillonne,
Serpentent sous les pins, pieux cheminement,
Les pèlerins joyeux venus en régiment.

Le port sous cette égide étale son eau plate
Cargos et paquebots dorment à l’ombre mate
Son immense jetée protégeant la plaisance
En lettres géantes criait « ICI LA FRANCE »

Sur les quais surmontés de monstrueuses grues
Emergent d’entrepôts les citernes ventrues
Qu’on vit un jour fumer comme un noir pavillon,
Prémices d’une vie en voie d’extinction

Au rivage opposé la falaise domine
Et la vague à son pied coléreuse fulmine.
L’écume bondissante irise le ciel bleu
Quand l’astre éblouissant darde ses traits de feu.

Ô toi, Mare Nostrum, ô Méditerranée !
Vers le septentrion dans la baie échancrée
Tu offres ton miroir à Phébus flamboyant
Qui mène à l’occident son char étincelant..

Loin, là-bas au midi, sur une vaste plaine
S’élève mollement dans une blanche haleine
La modeste montagne où les traditions
Rapportent qu’autrefois rôdaient quelques lions.

Oran ! tu somnolais lascive et paresseuse
Comme la Maja nue sur sa couche soyeuse,
Par la vague bercée sous ton dais de soleil :
Et nonchalant ton peuple attendait ton réveil.

Tu l’as eu ce réveil, ma ville bien-aimée,
Dans l’affreux incendie, les cris et la fumée.
Depuis le Murdjadjo les dieux indifférents
T’ont vu agoniser dans d’horribles tourments

Certains d’entre eux disaient : « Cela n’est que justice ! »
D’autres laissaient faire contemplant le supplice,
Quelques-uns avouaient qu’ils s’en lavaient les mains,
Les derniers se taisaient mais plaignaient les humains.

Le maître de ces dieux du haut de l’acropole
Ignorait les dégâts, refusait une obole.
Il disait que ces gens ne l’avaient pas compris
Et que de leur candeur ils acquittaient le prix.

Oui, Oran, ma ville, reprends ta somnolence
Et laisse sur tes maux retomber le silence !
Que le plus grand mépris sanctionne ces dieux
Et que le Murdjadjo ferme à jamais ses yeux.

ORAN (Marcel LABAT)

Qu’es-tu devenu depuis tout ce temps
Où je t’ai quitté mon bel Oran ?
De toi j’ai gardé au fond de mon cœur
Un jardin secret fleuri de bonheur

Non, jamais je n’oublierai ces années,
Près de toi, de mon enfance si gaie.

Le soleil si chaud et la mer si bleue
Paraissaient doux, merveilleux ä mes yeux
Que jamais, jamais, je n’aurais pensé
Qu’un matin la vie nous séparerait.

Aujourd’hui, bien loin de toi en France
Je rêve encore à ma chère enfance.

Si tu savais comme mon cœur pleurait
Le jour où je suis parti, désœuvré,
Triste et malheureux dans ce grand bateau
Qui m’éloignait de toi au gré de l’eau.

Oh ! bien sûr, je suis revenu te voir ;
Mais tu ne m’as laissé que désespoir.

Où sont ta joie de vivre, ton rire ?
Que je désirais tant redécouvrir.

Tu es comme un enfant abandonné
Livré à lui-même, et très mal aimé.
Oran de ma vie ! Oran de mon cœur !
Tu as été pour moi un grand bonheur.

ORAN OU LA VIE (Amédée MORÉNO)

Au sud de cette mer j’avais une maison...
Une fumée au loin entraîne ma pensée
Par delà le trait bleu qui marque l’horizon,
Vers la ville d’Oran, d’où certains m’ont chassé.

Je revois Santa-Cruz, le port et la cité,
Ecrins de séduction, ses filles du soleil
Et ses garçons charmeurs, ce peuple de gaîté
Travailleur et pionnier, à nul autre pareil.

J’ai perdu à jamais l’objet de mon émoi.
Exilé, je suis loin de mon pays natal,
Mais cette ville ancrée au plus profond de moi,
Je la raconterai jusqu’à mon jour final.

Je dirai ses senteurs, son charme et sa lumière,
Son sourire accueillant, sa magie de la fête
Et son passé vibrant dont elle était si fière ;
Tout cela tourne fort, résonnant dans ma tête.

Saigne mon cœur meurtri, et pleure à flots mon âme !
Oran m’a été prise, arrachée par le sort ;
Et j’en souffre si fort que chaque jour je clame :
"Il me faut la revoir ! Oran me manque à mort ! !...

ORAN JANVIER 1962 (Christine LLOPIS-PRÉVOST)

Sur Santa-Cruz, le soleil tend sa pourpre d’or,
Et cependant tu parais sommeiller encor…
Bientôt tu secoueras ta langueur somnolente.
Alors, ORAN, tu apparaîtras toute vivante.

Tes quartiers achalandés sembleront toujours
Nous emporter très loin, dans une éternelle liesse,
Et nous nous baignerons dans votre constante ivresse,
Gambetta, Maraval, berceau de nos amours.

Tes rues bordées de néon resplendissent le soir,
Et j’aime contempler leur majesté sereine.
Tes enseignes lumineuses font tout pour m’émouvoir,
Car près de tes sœurs d’Algérie, tu es la Reine.

Près de toi, Alger, Bône, Blida, Bougie,
Et tant d’autres encore dont j’ai oublié le nom,
Toutes, ORAN, près de toi, semblent souffrir d’anémie,
Lorsque tes belles se mettent à leurs balcons.

Fort de Santa-Cruz, te rappelles-tu l’histoire
De notre Cité et de nos ancêtres espagnols ?
A tous, tu dois la raconter dans la nuit noire,
De même qu’aux cigognes dans leurs interminables vols.

Toi, ô combien Sainte Basilique, tu fus construite
Parce que nous en fîmes le vœu si nous échappions
Au choléra. Or, du haut de tous ces avions
Qui survolent le Murdjadjo, nous te voyons si vite.

Mais si nous suivons le sentier tout sinueux
Qui mène à ta crête, nous admirerons ton dôme
Tout en nous soumettant, ô Madone, à ton dogme.
Devant un tel prodige, nous rendrons grâce aux Cieux.

Mais nous devons t’admirer aussi, toi, Mosquée
Du Pacha. De tes fontaines s’écoulent les eaux fraîches
Et miroitantes ; tandis qu’elles bruissent dans ton bosquet
Leur divin murmure nous parvient par quelque brèche.

Quel Oranais digne de ce nom n’a parcouru
Les sombres et tortueuses rues de la Calère ?
Quelle Oranaise n’a frissonné sous l’ombre légère
des palmiers du Front de mer, et qui n’a connu

Les diverses caches de ta Promenade de Létang ?
Qui n’a parcouru ta sinueuse rue Philippe,
Vu ce « home » des amoureux quand le soir descend
et ces couples enlacés qu’aurait décrit Ménippe ?

La Calère ! tu es le cœur même du Vieil Oran,
Et lorsque par tes rues tortueuses on déambule,
Et que tout là-haut Notre Dame veille sur nos rangs,
Ton fort solitaire, son histoire récapitule.

Ton port grouille et vibre d’une activité stridente :
Paquebots et frêles embarcations s’y côtoient.
Tout démontre que tu restes malgré tout bien vivante
Et c’est pour te garder française que l’on combat.

Quant à vous, Casino de Canastel, Pinède,
Côte Turquoise, Aïn-el-Turck, Andalouses et Genêts,
Toi, Montagne des Lions, ô Canastel, comme l’aède,
A vanter vos charmes, je ne me lasserai jamais !

Vous êtes, pour moi, la halte
Rêvée quand, après avoir marché sans arrêt,
Je viens m’asseoir au bord de l’asphalte,
C’est le paradis terrestre qui s’ouvre à mes pieds.

Vois-tu, je rêve d’une ville à l’aimable visage
Où tout le monde serait censé être sage ;
les amoureux pourraient s’y promener la nuit
En regardant sur Santa-Cruz la lune qui luit.

J’espère que cela ne sera pas un mirage,
Malgré que l’on éprouve pour toi soif et rage.
Cependant, O ma ville, le jour approche, sois certaine ?
Où de tous tes feux tu brilleras, sereine.

Tes habitants auront retrouvé la gaieté.
Et alors, tout comme au bon vieux temps du passé,
Tous pourront à l’unisson dire que tu es belle,
ORAN, ma bien aimée, ma tendre jouvencelle.

AMERTUME (Christine LLOPIS-PRÉVOST)

Le vent mutin, un brin musicien
M’apporte, de bien loin, l’écho
Des rires et des chants anciens
De là-bas, de notre Eldorado.
Là-bas ! Quel là-bas ?
Nos ancêtres l’avaient créé,
On nous a menti, spolié, bafoué.
Là - bas ? Nous n’en avons pas.
Il paraît que j’ ai gardé son accent
Ensoleillé, aux sons rocailleux.
Mon accent, quel accent ?
Il dort là-bas, près de nos aïeux.
Les jours, les mois, les années passent.
On ne veut toujours pas de nous ici.
Nos rangs se raréfient !
Mais les souvenirs point ne s’effacent

RIVAGE D’ORANIE (Jocelyn PERPIGNAN )

Assis sur un rocher j’écoute bien souvent
L’enivrante chanson de la Mer et du vent.
La mer est à mes pieds, si bleue, belle et immense
Qu’elle me fait rêver : je la regarde et pense.
Elle étanche ma peine en douceur et sans peine
Quand parfois j’épanche ma douleur et l’entraîne !
Un vague murmure venant des vagues, oh !
Infini et vivant petit clapotis d’eau.
Monotone et prenant est son refrain qui traîne,
C’est la douce chanson d’invisibles sirènes.
Mais je regarde au sud, au-dessus de l’écume,
Une terre là-bas, apparaît dans la brume.
Cette mer caressant la côte d’Algérie
Vient rouler les galets de mon pays chéri.
C’est ma terre natale et c’était ma patrie :
Pour elle je n’avais que de l’idolâtrie !
C’est mon « Île » perdue, loin de moi, éthérée,
Ne sachant toujours pas si je la reverrai.
J’ai tout laissé là-bas, mes plus belles années
De l’autre côté de la Méditerranée !
Malgré qu’il m’ait trahi, malgré qu’il m’ait banni,
Je n’oublierai jamais mon pays d’Oranie.
Je n’oublierai jamais cette ville d’ORAN
Pour tous mes souvenirs, un hommage lui rends.
Je n’oublierai jamais son merveilleux rivage
Que j’ai souvent longé, à pieds ou à la nage :
De la ‘Pointe d’Aiguille’ aux criques de ‘kristel’,
Des genêts du ‘Cap Roux’ au plat de ‘Canastel’ ;
Des Falaises d’Oran aux mains de ‘Notre Dame’
Protégeant le ‘Vieux Port’ où j’ai fait de la rame ;
Du haut de ‘Santa Cruz’ aux jetées de "Kébir"
Enserrant dans ses bras sa rade et ses navires ;
Du "Fort de l’Escargot" au "Rocher de la Vieille"
Où le point de vue est une pure merveille :
La Corniche en lacets sur la route des plages,
Le chemin du bonheur, du soleil, du bronzage ;
Je n’oublierai jamais cette vue maritime :
Sa côte découpée dans sa beauté sublime !
Du sable de ‘Trouville’ humecté par la mer
Où le soleil et l’eau se mariaient à la terre ;
Des plages ‘d’Aïn el Turc’, au bout du ‘Cap Falcon’,
De ses sables dorés frôlés de mon balcon ;
De ses fenouils de sable aux asperges du Phare
Qu’un jour m’y promenant, j’ai trouvées par hasard !
Et puis ‘les Corales’, aussi ‘les Andalouses’,
Et toi belle ‘Île plane’ que la mer épouse !
Et vous ‘Les Habibas’ en face du ‘Cap blanc’,
Vous reverrai-je un jour et pour tout dire : quand ?
Alors ces souvenirs qui viennent m’assaillir
Me font tergiverser : l’aimer ou la haïr ?
Car ayant tout perdu, de tout mon paradis,
Il ne me reste plus que son nom : ORANIE !

MON BEAU PAYS (Jocelyn PERPIGNAN)

Je suis, tels mes parents, fier d’être né au nord,
Un pays méconnu juste au bord de la mer ;
Un pays dénigré et mal aimé à tort
Et pourtant un pays si extraordinaire !
Son chef-d’oeuvre voulu, la nature l’a fait
En fusionnant si bien le ciel, la terre et l’eau ;
Et c’est du succès de ce mélange parfait
Que mon pays du nord un beau jour est éclos !
.
Falaises et rochers, galets et golfes roux,
Dunes et sables chauds, tapis d’or de nos plages,
Sont saupoudrés de blanc lorsque la mer s’échoue
Et sont alors unis en un beau mariage !
Le vent du nord qui vient de la mer nous est doux :
Ce n’est qu’un souffle court son flux nous atteignant,
Comparé à ces vents mauvais qui rendent fou :
Le Mistral de Marseill’, l’Autan de Perpignan !
.
Le soleil au-dessus de mon pays du nord
Dirige notre vie par toute sa magie ;
Il réchauffe nos cœurs et envahit nos corps,
Il dope notre esprit et crée notre énergie !
Au plus chaud de l’été, il dore les moissons ;
Il fait mûrir les fruits et rougir le raisin ;
Il sait pourtant doser sur nos peaux ses rayons
Pour ne pas nous brûler et conserver nos teints !
.
Notre terre du nord est si douce et légère,
Labourée, cultivée : labeur de nos aïeux,
Qui ont par leur travail su la rendre prospère
Quand elle était le lit d’un terrain rocailleux !
Les cultures du blé, des vignes et coton,
Les prairies, les jardins, les champs et les vallées
Et même les plateaux avec porcs et moutons
Étalent la force de notre volonté !
.
Notre esprit de progrès, de développement,
A modifié le sol, changé le paysage,
Améliorant la vie considérablement :
Voyez un peu nos ports, nos villes, nos villages !
Les gens du nord sont bons, accueillants, chaleureux,
Sous leurs airs suffisants, ils ont un très bon coeur
Et ils donneraient tout, étant très généreux,
Sauf leur identité, leur accent, leur honneur !
.
Ils ont le verbe haut, la parole facile,
Les phrases colorées venant de leur faconde !
Justement leur accent : il est indélébile
On le connaît partout aux quatre coins du monde !
Le parler imagé, de nous Français du nord,
Est fait d’un bienheureux mélange de cultures,
De nationalités, de langues et d’apports
Qui viennent enrichir aussi notre nature !
.
Et quand descend le soir, que s’allonge mon ombre
Sous le ciel infini où les astres scintillent,
Je parcours l’horizon et vois dans la pénombre
Que ma terre du nord est un joyau qui brille !
Ou quand très loin du nord, les yeux écarquillés,
Je vois dans les lueurs s’élevant vers le ciel,
De grands sapins de fer se mettant à briller,
Je me souviens du nord et des soirs de Noël !
.
Que verte est ma vallée quand l’herbe qui y pousse
Me permet d’espérer en faisant mon bonheur ;
Mais quand le vent forcit et qu’elle devient rousse
Pour ma terre du nord je crains un grand malheur !
Car quand le ciel rougeoie au-dessus de la plaine
Et que le vent de l’est ramène certains sons,
Je me demande si ces petits phénomènes
Ne sont pas le début de terribles frissons !
.
Et si j’étais un jour perfidement trahi,
Obligé de partir, d’éviter le tombeau,
Alors si je devais visiter cent pays,
Mon beau pays du nord resterait le plus beau !
Mais pour vous quand je dis : « Mon beau pays du nord »,
C’est un malentendu, aussi je vous rassure,
Je suis, tels mes parents, fier d’être né au nord,
Au nord oui mais au nord, de l’Afrique bien sûr !!

ADIEU MON PAYS (Jocelyn PERPIGNAN)

Aujourd’hui va mon cœur au-dessus de la mer,
Vers ces anciens rivages qu’il a tant aimés,
Mais la brise du soir lui parait bien amère
Car il les a quittés je crois à tout jamais !

Du levant au couchant, de la mer au désert,
Il revoit en pleurant sa terre bien aimée.
Mais les évènements, la folie meurtrière
Ont abrégé trop tôt cet amour passionné !

Pourtant il reconnaît la couleur de sa terre,
La blancheur du coton, la blondeur de ses blés,
Les allées de sa vigne en marron et en vert,
Et l’orange et le rouge de tous ses vergers !

Il en vient à frôler dans sa ronde céleste
Cette surface aimée, la touchant par instant,
En arrivant même à déranger dans leur sieste
Les lapins des sillons, les canards des étangs.

De son air vivifiant il remplit ses poumons ;
Survolant son pays il revoit enchanté,
Le jaune de son sable et l’ocre de ses monts,
Le bleu clair des points d’eau et le vert des palmiers.

Il passe comme un souffle au-dessus de la plaine
Pour sentir le fenouil et l’odeur des genêts ;
Et puis de son rivage il respire l’haleine,
Ecoutant le ressac et le chant des galets.

Il se souvient toujours des vagues de ses dunes,
Que se soit sur les plages ou même au désert,
De ses sables brûlants ou de ses roches brunes
Et de la transparence de l’eau de la mer.

Adieu, terre perdue qui a fait mon bonheur !
Adieu, ce bien de Dieu, ce paradis sur terre !
Adieu, mon cher pays, Algérie de mon cœur !
Adieu, mais jamais il ne t’oubliera, j’espère !

PREMIER AMOUR (Jean-Luc MOREAU)

Ils marchaient lentement sur la plage déserte,
Comme font les enfants se tenant par la main ;
On eût dit qu’une porte au ciel se fût ouverte
Dont l’étoile du soir leur montrait le chemin ...
La forme de leurs pieds s’imprimait sur le sable :
Ils cheminaient toujours et ne soupçonnaient pas
Que déjà, derrière eux, les vagues inlassables
Effaçaient doucement la trace de leurs pas.

SYRACUSE (Jean-Paul TADDEI - Saint-Florent (Corse))

J’aimerais tant voir Syracuse
L’île de Pâques et puis ORAN
Et mes Arabes qui s’amusent
Leurs blancs burnous sous le vent
Voir les jardins de Babylone
Et le palais du grand Lama
Retrouver mon copain Bérone
Au sommet du Fuji-Yama
Voir le pays du matin calme
Aller pêcher au cormORAN
Et m’enivrer de vin de palmes
Pour remercier tel un orant
Avant que ma jeunesse s’use
Et que mes pas délaissent la muse
J’aimerais tant revoir ORAN
Pour en rêver à SAINT-FLORENT

Jean-Paul Taddéi

LYCEE LAMORICIERE (Jean-Paul TADDEI)

Années bénies, temps des fifties
Matches de foot, surprise-parties
Au mois de mai dans les vieilles turnes
Travaillons dur et sans cothurne
La mer brasillante à l’accore de Kristel
S’étend majestueuse, cligne sous Canastel
Caresse la jetée, salue Mers-el-Kebir
Monte du minaret la prière "Allahkbir"
Et Roustan, Esclapez, Nicoli, Lalaoui
S’escriment en Latin. "Rosam ? Ah là, oui"
’’L’armée romaine en ligne ; alors qui le dit ?"
"Très facile ... host, hostis" nous répond Ould Kadi
Lors le censeur passe, surveille ces potaches
Il a l’œil aux aguets car difficile tâche
Après les feux éteints, par dessus le grand mur
Quelques bougres enfiévrés filent quartier Lamur
"Aujourd’hui la compo, j’ai fait quelques impasses"
"T’inquiète … j’ai dans la manche certains tours qui passent"
"Prendre un tel risque et que nos cous se rompent !"
"Je te le dis ... sois calme ... mon sarrau sent la pompe"
Or nous aimions nos profs : Roustouil, Fatmi, Salesse
Tous gant de velours qui maintient bien la laisse
Car leur pédagogie en ces temps vertueux
Faisait de grands enfants des élèves bienheureux
Voici venir juin, nonchalant et placide
Mais Baccalauréat a une saveur acide
Chut ... chut ... écoute ... admissible, puis reçu
Que peut bien égaler ce grand bonheur perçu
Il nous faut donc quitter le lycée de notre vie
Et l’âge étant là, le revoir. .. quelle envie !
Mais tu es dans mon cœur pour encore bien longtemps,
LYCEE LAMORICIERE ... le vent emporte autant

Jean-Paul Taddéi

GOÛT D’ORAN (Jean-Paul TADDEI - 1965... 2005)

Comme le temps a un goût rance
J’aimerais tant revoir Oran
Et les villages de mon enfance
Et mes Arabes lire le Coran

Rachid, mon ami, je suis trop loin de toi
Rachid,mon ami, que deviens-tu sans moi
Les vignes abandonnées brûlées par le soleil
Les vignes abandonnées n’ont plus de fruits vermeils

Dans l’église déserte le Christ crucifié
Regarde l’autel vide et la foi sacrifiée
La cloche qui sonnait l’angélus du soir
Tinte lugubrement le glas de nos espoirs

Le sage accroupi à la peau burinée
Dans l’ombre qui s’agrandit égrène ses années
Vieil homme tu crois en Dieu et tu te sens si las
Mais ta grande sagesse te fait dire inch’Allah

Comme le temps a un goût rance
J’aimerais tant revoir Oran
Et les villages de mon enfance
Et mes Arabes lire le Coran......
-----------------------------------------------------
Mais le temps n’a plus goût rance
J’ai revu mon cher Oran
Hassi-Mefsoukh, mon enfance
Et mes Arabes lire le Coran.

IL EST...DES SOUVENIRS QUI SE NOMMENT ESPOIR (Danièle MATAIX-DEME)

Il est des soirs étranges
Tout remplis de beauté.
C’est comme le chant des anges
Dans une nuit dorée...
Il est des jours d’ennui
Tout remplis de tristesse.
C’est comme une longue pluie
Dans les coeurs en détresse.
Il est des matins clairs
Où le soleil sans fin
Inonde de sa lumière,
Illumine nos destins...
Il est des soirs tout noirs,
Des soirs où nulle joie
N’atténue nos désespoirs ...
Des soirs sans paix ni foi.
Il est des soirs de souvenirs
Où l’âme évoquant le passé
Retrouve le sourire
Des belles nuits d’été...
Des soirs où dans les yeux
Brille la lumière
De ces jours heureux
Caressés par la mer ...
Et ces soirs-là, j’entends
Les vagues sur la grève ;
Et ces soirs-là, le temps
S’arrête comme un rêve !

MON FLEUVE D’ENFANT .... (Henri BELASCO)

Dans mon fleuve d’enfant il ne coulait pas d’eau.
Ses rivières affluentes ou encore les ruisseaux
Qui s’y jetaient ne charriaient que la lumière
D’un soleil blanc, sans ombre, désintégrant les pierres...
Et jamais animal ne s’y désaltéra.
Aucun vert pâturage jamais ne le borda,
Ses galets immobiles semblaient couler sans fin
Entre des gorges ocres, sans bords ni sable fin.
Dans le lit de mon fleuve vivaient des scorpions
Mais aussi des oiseaux ... jamais aucun poisson.
Et puis soudain mon fleuve était torrent
Colorant la mer bleue d’un nuage oppressant,
Arrachant tout, la terre, les épineux, les ponts,
Le berger imprudent ainsi que ses moutons...
Et pourtant je l’aimais mon fleuve, pour sa beauté,
Sa puissance, sa rage, ... son immobilité.
Comment imaginer que sous d’autre cieux
D’autres fleuves pouvaient couler, majestueux ?
Dans mon fleuve, aujourd’hui, il ne coule pas d’eau,
Mais il charrie le sang et il y coule en flots.
Je ne l’avais pas dit ? Pardonnez mon oubli.
Mon fleuve est un oued ... là-bas... en Algérie.

MON ACCENT (Jeanne DARMON)

J’ai gardé mon accent… celui d’une Oranaise.
Avec lui, croyez-moi, je me sens très à l’aise.
C’est sûr, je parle mal… sans trop me corriger
Que voulez-vous, chez nous… nous étions mélangés
en race, en religion… chantant « La Marseillaise »
car nous étions tous liés par l’Algérie Française.
Rachel ou Consuelo…, Mohamed et Bernard
se bagarraient parfois, mais c’étaient des fêtards … !
même les plus instruits estropiaient les mots
dans un vocabulaire… plutôt « fortissimo » !
Alors, c’est obligé qu’on garde cette empreinte.
Pourtant lorsque j’écris, c’est plus en demi-teinte.
En Oranais je dis que je fais « entention »,
mais là, sur mon papier, j’ai d’autres munitions,
je réfléchis un peu et, le dictionnaire m’aide.
En parlant… ça va vite et les mots se succèdent.

Bref ! Je suis comme je suis, oui…,déjà je suis vieille,
pour ne pas m’écouter, bouchez-vous les oreilles.
C’est tout ce qui me reste avec mes souvenirs.
Laissez-moi mon accent, pourquoi m’en démunir ?

L’ACCENT DE LÀ-BAS (Anonyme)

Oh ! Mon Dieu, ils m’ont tout pris : mon pays, ma maison, mon ciel bleu,
mes djebels et ma petite église.
De mon pays perdu, il ne me reste plus que l’accent.
Seigneur, faites que le temps qui passe
ne me prenne pas mon accent !

Ce n’est pas que l’accent de Provence
ne sent pas bon le thym et la lavande !
Ce n’est pas que l’accent du Nord n’est pas noble et généreux !
Ce n’est pas que l’accent de Paris n’est pas beau !
Mais le mien, Seigneur, c’est tout ce qui me reste de là-bas.

Parfois, il y en a qui me disent que mon accent, il sent la merguez.
Ils ne savent pas ces ignares qu’au lieu de me vexer,
ils remplissent mon cœur de joie.
Oh ! Seigneur,
faites que le temps qui passe ne m’efface pas mon accent !

Parce que, vous savez Seigneur,
cet accent là,
c’est l’accent de mon père qui m’a tout raconté,
et qui, à Monte-Cassino, a crié à ses tirailleurs
"Allez ! Larby, allez Mohamed, en avant nous zôtres pour la France"
Cet accent-là Seigneur,
c’est aussi l’accent de mon grand-père
qui a crié à Verdun à ses Zouaves
"Allez ! Pépito, allez Rénato, baïonnette au canon et vive la France"

Si le temps me prend mon accent,
comment je vais faire, mon Dieu,
pour raconter à mes petits enfants avec l’accent de Paris,
comment c’était chez nous zôtres ?

Vous m’entendez Mon Dieu, moi, avec l’accent d’ici,
leur dire comment criait le marchand de légumes
dans les ruelles de chez nous ?
Le marchand de calentica à la rue Fondouk à Oran,
le marchand de sardines ou encore le marchand de beignets à la rue d’Arzew,
le marchand de bliblis place du gouvernement à Alger,
et le marchand de zalabias d’El Kantara à Constantine ?

Ce n’est pas que l’accent d’ici n’est pas joli,
mais Mon Dieu,
vous m’entendez leur dire les gros mots
que l’on disait à Galoufa l’attrapeur de chiens
avec l’accent de Paris, Marseille,ou de Lyon ?

Alors, Seigneur, je vous en supplie,
laissez-le moi encore un peu cet accent de là-bas,
L’Accent de mon pays perdu.

LES ODEURS DE LÀ-BAS (Odette TREMELA-LEGAY)

Sens-tu le frais parfum de la blanche anisette
Dans le verre embué ? Et celui des brochettes
Aux portes des cafés ? De là-bas c’est l’odeur.
Me voici transportée sous l’oranger en fleurs
Des souvenirs, soudain, s’ouvre tout grand le livre
Quand toutes ces senteurs se mettent à revivre,
C’est un ciel éclatant d’azur et de vermeil
Une mer d’émail bleu ondulant au soleil
C’est la vigne naissant au sein des terres rouges
C’est midi si brûlant que l’ombre seule bouge
C’est l’ardente clarté courbant les floraisons
C’est la chaleur, la plage ; c’est notre maison.
Respire à pleins poumons cette odeur généreuse
Et vois le bourricot sur la route poudreuse
Qui trotte résigné, chargé de lourds paniers
Qui lui battent les flancs. Retrouve les palmiers
Aux écailles brunies dont la houppe balance
Dans les cieux en fusion la verte nonchalance
Qui, respire bien fort les parfums de là-bas
Et tu verras alors, emplissant les cabas
En tunique de sang, la tomate pulpeuse
L’orange ensoleillée et la grappe juteuse
Tu sentiras l’odeur des couscous épicés,
Des paëllas fumantes, des piments grillés,
Et l’arôme fruité de notre huile d’olive
La fragrance salée du rouget, de la vive
De la dorade rose au bout de l’hameçon
Dont on se mijotait des soupes de poissons
Vois les figues sucrées emplissant la corbeille
Près desquelles tournoient les friandes abeilles
Délaissant le jasmin langoureux, obsédant.

Nous mordions dans la vie, ensemble, à pleines dents
C’était la joie, le rire, c’était le bonheur !
Le passé contenu dans ces fortes senteurs
C’était les temps heureux, c’était notre richesse...
Car l’odeur de là-bas, c’était notre jeunesse !

C’ÉTAIT... (Odette TREMELA-LEGAY)

C’était ma terre, ma jeunesse, mes amours ;
C’étaient les matins bleus, l’or éclatant du jour,
C’étaient les champs de blé, les orangers, la vigne
Et les oliviers gris en ordre rectiligne,
C’étaient les minarets levant leur doigt vers Dieu.
C’était surtout la mer. La mer, joyau précieux,
Saphir profond, intense, enchâssé dans le sable
Des plages sans marées. Nature impérissable,
Union éternelle du ciel et de l’eau,
A l’horizon lointain. C’était grand, c’était beau !
C’étaient les étés chauds et l’azur sans nuages,
Les rares pluies d’hiver ; au-dessus du rivage,
Les grands oiseaux de mer ; le cri du goéland,
Les odeurs épicées et notre accent chantant,
Les ânons trottinant, les murs blancs des villages ...
Dans mon cœur mutilé persistent les images,
C’est mon passé, ma vie. O paradis perdu !
Algérie que j’aimais, mais où je n’irai plus !

LA PIEDNOIRIE (Christine LLOPIS-PRÉVOST)

La Piednoirie s’en va, s’éteignant,
Telles les bougies d’anniversaire
Soufflées, emportées par le vent…
Pourtant, qu’elle était heureuse et fière,
Dans cette belle région française
Aux cinq départements,
Fière de se savoir française.
La jeunesse y vivait sainement.

Puis, un jour, tout s’écroula, s’effrita.
Nous dûmes fuir avec nos valises
Vers la Mère Patrie, terre promise,
Où en parias on nous traita.

Les Pieds Noirs s’en vont, s’éteignant…
Un, puis un autre, encore un,
Au fil des ans, au fil du temps…
Bientôt, il n’en restera aucun.
La Piednoirie s’en va, s’éteignant,
Sombrant dans l’océan
Des ans.

IL ÉTAIT UNE FOIS EN ALGÉRIE (Huguette et Max PASTOR)

—> Dans "Documents joints" ci-après, télécharger le diaporama


Souviens-toi, mon enfant....

Raconte-moi, grand-père, l’histoire de ton pays,
Celui où tu es né, celui qui t’a meurtri,
Te laissant repartir vers de nouveaux destins,
T’abandonnant, hélas, pour de tristes lendemains.
Que reste-t-il dans ton cœur de toutes ces années
Où tu vivais heureux avec tous tes amis ?
Tu l’as poussé là-bas, oh ! oui, ton premier cri,
Le doux bonheur de vivre, de rire et d’être aimé,
Et il est devenu, quelques années plus tard,
Un long cri de détresse dans ce cruel départ

Ecoute, oh ! mon enfant avant que ne prenne fin
Ma vie à tes côtés, ô toi que j’ai choyé !
Car je veux que tu sois, toi, mon fils bien-aimé,
Le vivant témoignage, l’indestructible lien
Qui rattache ma vie à ta vie de demain.
Que vive dans ton cœur, oh ! oui, ce sable chaud
Qui coulera dans tes veines, réchauffera tes mains,
Que ces déserts brûlants, dans un très doux halo,
Rafraîchissent ton âme et baignent tes pensées.
Souviens-toi, mon enfant, ô toi qui es bien né
Dans ce pays si beau, celui de ton enfance,
Celui de tes parents, de leurs joies et souffrances,
Qu’ils ont su partager, où ils ont enduré
Mille et mille privations, bien avant d’arriver
A faire de ce pays un Eden enchanté.

Recueille-toi ce soir, car tu vas rencontrer
Au travers de ces lignes, de ma vie, mon passé,
Avec ses espérances, ses dérives, ses excès
Pour arriver enfin vers ce but à atteindre,
Ne jamais reculer, et puis ne jamais craindre,
Donner à ce pays valeurs, prospérité.
Dieu ! il en a fallu, oui, des années de lutte,
De souffrances, de famine, pour enfin arriver
A faire de cette terre si hostile et inculte,
Un pays accueillant et très souvent envié.

Elle est née d’un sourire, d’un désir d’être belle
Cette fière sultane qui naquit dans la boue,
Dans ces marais incultes à l’eau au goût de sel,
Habillée de haillons, de peur et de dégoût.
Petite Cendrillon au cruel destin,
Ils sont venus vers toi tout au bout du chemin,
Avec cette volonté, cette douceur, cette tendresse
De faire de toi, un jour, la plus belle des princesses.

Et les années passèrent dans un très dur labeur,
Leurs corps meurtris, fourbus et trempés de sueur,
S’accrochant à ce rêve de réussir un jour
A faire de toi une terre d’amour.
Sur ces doux souvenirs que j’évoque tendrement
Sur toi au nom radieux tissé depuis longtemps,
Inscrit sur ton ciel bleu et tes aurores intenses,
En lettres majuscules, belles et pleines d’indécence,
J’écris ton nom !

Toi, ma belle Algérie aux yeux remplis de rêves,
Indomptable et farouche, sensuelle conquérante,
Sachant calmer nos cœurs par d’innombrables trêves,
Sentant bon le jasmin aux senteurs provocantes,
Tu es la brise légère qui caresse mes jours,
Tu es l’immensité qui me noie, extasiée,
Tu es ma terre natale, à jamais, pour toujours,
Tu es toute ma jeunesse, mon présent, mon passé,
Tu es belle comme ces filles qui habitaient chez nous,
Qui faisaient le boulevard, avec un brin de cour,

Tu es ces jeunes femmes dans leurs maternités
Qui berçaient tendrement leurs frêles nouveau-nés,
Tu es l’amour d’un peuple aimant et passionné,
Qui connaissait vraiment le sens de l’honneur,
Toi, précieuse semence, oui, qui l’as fait germer,
Pour lui donner l’Amour, l’Amitié, le bonheur
Tu es tous ces enfants insouciants et joyeux
Courant sur tes belles plages, plongeant avec délice,
Eclaboussés d’air pur, de soleil et, de jeux,
Tous bronzés et rieurs, au regard malicieux

Et mon vieux cœur rouillé se serre quand je repense
A ce qu’était ma vie insouciante et rebelle,
Avec ses champs de vignes et ses vins généreux,
Ses fêtes de village avec ses filles si belles,
Et cette mer si bleue aux harmonies intenses
Qui rassasiait nos cœurs d’un bonheur délicieux.
Sur la folie d’un homme, oui, qui nous a livrés,
Sur ces départs cruels où nous avons tout perdu,
Tout ce qui fut pour nous notre raison de vivre,
Sur nos douleurs amères, sur nos larmes versées,
Sur cette volonté de vouloir, oh ! à tout prix survivre !
Je crie ton nom !

Regarde-la sourire au printemps de là-bas
Qui parfumait sa terre, l’Algérie c’était ça !
Regarde-la rêver aux automnes lumineux,
Où ses yeux éblouis rendaient son cœur heureux
S’accrochant, éperdue, si désespérément
A cet espoir de vivre et d’avoir des enfants
Dans ce pays si beau et si doux à nos cœurs
Qui respirait l’amour, la douceur, le bonheur.

Ecoute-la mourir dans un dernier sanglot,
Bafouée, lapidée comme une femme infidèle,
Ecoute-la gémir au milieu du chaos,
Ecoute-la pleurer tous ses plus beaux noëls,
Ecoute-la frissonner dans l’hiver de sa vie
Glaçant et déchirant son pauvre cœur meurtri

Il ne reste plus rien de ce si beau pays,
Que misère et douleur, famine, désolation,
Mais nous gardons au cœur brûlante cette passion
De reconstruire, ailleurs, une semblable patrie.

Hélas, ils sont restés, muettes sentinelles,
A veiller tendrement sur ce pays perdu,
Du fond de leurs tombeaux à jamais méconnus,
Ô tristes conquérants de cette terre immortelle !
Et par delà les ans, et par delà les siècles,
Garderont jalousement ce sol, oh ! tant aimé.
Ce doux pays d’amour, cette terre martyrisée,
Que leurs mémoires demeurent pour la postérité
Car ils sont les seuls maîtres de cette terre souillée
Qu’ils ne pourront jamais quitter.

Et que l’ignoble blasphème de "Je vous ai compris"
Fasse comprendre à nos fils toute cette ignominie
D’avoir livré ce sol qui sentait le bonheur,
Où nos petits-enfants, riche moisson de demain,
Oui, auraient pu connaître de si beaux lendemains
En se tenant la main ,oui, chanter tous en chœur le chant des "Africains".

Sèche tes larmes, grand-père, car nous avons compris
Oh ! combien ce pays était cher à ton cœur !
Ton empreinte marquera à jamais notre vie,
Car nous serons pour toi de la race des Seigneurs.


Documents joints

Il était une fois en Algérie (diaporama)

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